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Elie Chouraqui pour Afrique Magazine

Elie Chouraqui est l’invité en novembre d’Afrique Magazine, voici mon interview :

Il est producteur, réalisateur, auteur et scénariste. Elie Chouraqui a aussi monté trois comédies musicales dont Les 10 commandements. On lui doit également l’indispensable film qui avait dissuadé plusieurs metteurs en scène : Ô Jérusalem, adapté du bestseller de Dominique Lapierre et Larry Collins. Elie Chouraqui partage sa vie entre la France et le Kenya. Ce membre connu et reconnu de l’association SOS Racisme commente pour nous l’attaque du centre commercial Westgate de Nairobi. Il le dit, le terrorisme est partout. « Quand on me demande si j’ai peur d’aller au Kenya, je réponds que nous ne sommes pas plus tranquilles dans les rues de Paris. »

Propos recueillis par Laure Rebois 

Il aura fallu 4 jours avant que le Président Kényan Uhuru Kenyatta puisse affirmer avoir vaincu le commando islamiste qui occupait depuis le 21 septembre le centre commercial Westgate de Nairobi. Tout d’abord, étiez-vous sur place durant ce drame ?
Non je n’y étais pas. Beaucoup de mes amis étaient proches de cet attentat. Certains auraient pu même compter parmi les victimes. Une amie a eu de la chance. Elle devait s’y rendre mais le voyage fut annulé. Sa fille était en retard. C’est une situation tragique. Cela met en avant la fragilité de ce pays en matière de sécurité. Il n’est pas prêt à ce genre d’attaque. Le Kenya est un pays étrange, que j’adore. Il est multiethnique, ce qui fait sa force mais aussi sa faiblesse.

Sa faiblesse ?
Indirectement oui. C’est la corruption le plus grand drame du Kenya. Il est difficile d’avoir un pouvoir centralisé pour endiguer ce fléau. Il entraine un dysfonctionnement des institutions. Je vis sur place. Les évènements m’ont fait réaliser que la population s’attendait à une attaque de la sorte. Le centre commercial Westgate est un lieu excessivement exposé. S’en doute a-t-il été davantage vulnérable à cause de la corruption ? Je le pense. Le Gouvernement devrait mettre en place un système sécuritaire mieux organisé. Il y a tant à faire aux frontières, dans l’Armée, dans la Police. Je paie des militaires pour garder ma maison. C’est anormal que quiconque ait à le faire. Il faut avoir des billets sur soi pour obtenir un droit, tout simplement. Le Gouvernement doit développer son service de renseignements particulier. De plus le pays doit pouvoir s’appuyer sur ses alliés : les Israéliens, les Américains, les Européens. Ce sont des alliés puissants. Je trouve anormal que la population soit victime d’un tel drame.

Un nouveau Président a été élu justement.
Oui. Nous verrons ce qu’il apportera à ce pays. Ce Président a l’avantage d’être très riche. J’espère qu’il aura de ce fait à cœur de juguler le fléau cité. Vraiment.

Lui faites-vous confiance ?
Il est poursuivi pour crime contre l’humanité… C’est compliqué. Le Kenya est un pays en guerre, ne l’oublions pas. Le Président devra donc prendre en compte la situation en organisant la surveillance aux frontières. Il faudra mettre en place des patrouilles efficaces. Je pense que les soldats et la Police devraient être constamment mobilisés. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Même si…

Même si quoi ?
Il faut avant tout pouvoir compter sur eux. Autant sur la Police que sur l’Armée. On devrait pouvoir être en pleine confiance. Regardez : Quand on appelle la Police en France, on sait qu’il n’y aura pas de problème. Les policiers ne viennent pas vous dire qu’il faut payer quoique ce soit pour faire un rapport ! Je trouve la situation vraiment insupportable. C’est tellement dommage ! Au Kenya, dès que l’on sort des organisations de safaris etc, on se retrouve confrontés toujours à la corruption : le serpent se mord la queue !

Les insurgés islamistes somaliens shebabs ont revendiqué l’attaque. Ils ont dit agir en représailles à l’intervention militaire kényane en Somalie lancée fin 2011. Ils avaient déjà, entre autres, enlevé et tué Marie Dedieu. Elle était actrice, journaliste, galeriste et militante féministe française. C’était une de vos amies et voisine.
Concernant la disparition de Marie, je pense que cela n’a rien à voir avec la Somalie. La situation dramatique de ce pays, la Somalie, a servi d’excuse à cet enlèvement. Je pense que c’était un acte crapuleux dirigé par une organisation locale. J’ai ce sentiment là. Mais on ne sait pas ce qui s’est passé exactement pour elle, la pauvre. De même qu’il est impossible de savoir qui est survivant parmi les terroristes, qui ne l’est pas. C’est le même traitement de défaveur. Sont-ils vivants ? Sont-ils morts ? Et il y a d’autres interrogations. Qu’est-ce qu’ils ont dit pendant cet assaut de 4 jours ? D’où viennent-ils ces terroristes ? Personne n’en sait rien. C’est terrible. Cette ignorance plonge davantage la population dans un sentiment d’insécurité.

Etes-vous retourné au Kenya depuis le 25 septembre ?
Je n’y suis pas retourné. Non pas encore.

Vous vous sentez donc en danger chez vous.
Forcément. Oui. C’est la raison pour laquelle je n’y suis pas retourné depuis l’attentat. Il y a une inquiétude. Il est impossible de se rendre quelque part si on se sent angoissé. Je ne peux pas ne pas y penser, d’autant que j’ai une femme et des enfants. Je dois les protéger. Je dois m’organiser. C’est triste mais c’est
ainsi.

L’ONU et la Somalie disent intensifier la lutte contre les Shebabs. Pensez-vous que cette guerre prendra fin un jour ?
Toutes les guerres prennent fin. Souvenez-vous au Rwanda. Ce pays a été tellement massacré. Il est pourtant possible de s’y rendre aujourd’hui. On disait toujours que les choses n’en finiraient jamais. Désormais ce pays fonctionne et vit très bien. Un autre exemple : l’Ethiopie. Ce pays était à l’agonie dans les années 70/80. Il mourait. Aujourd’hui c’est terminé. Tout est différent.

Dans son malheur, le Kenya garde sa richesse.
Le Kenya est le pays le plus fort de la région. Il bénéficie d’une croissance extraordinaire. Industriellement, commercialement, il pourrait être à meilleur niveau c’est certain. Cela dit, son évolution reste bloquée, par sa fragilité déjà évoquée. Et puis le terrorisme qui ne s’arrête pas. Comme partout, disons-le.

Terrorisme que vous méprisez.
Le terrorisme est l’acte le plus sauvage et barbare. Il est commis par des imbéciles les plus lâches. Lâcher une bombe comme ça et tuer des gosses ! Vous imaginez ! En France, Mohamed Merah incarne le terrorisme le plus absurde, le plus monstrueux. Quand on me demande si j’ai peur d’aller au Kenya, je réponds que nous ne sommes pas plus tranquilles dans les rues de Paris.

Le terrorisme est l’acte extrême de revendication.
Pour l’attentat perpétré à Nairobi, la revendication concerne la Somalie. Effectivement. Il ne faut pas non plus oublier que la Somalie est un pays qu’on a laissé à l’abandon. Des enfants, des femmes et des hommes meurent tous les jours. Le terrorisme est inacceptable. Il est inexcusable. Mais les somaliens voient des êtres chers mourir quotidiennement et il n’y a aucun gouvernement, aucune association qui d’un coup décident de faire quelque chose de fort, une bonne fois pour toute. Peut-être pourrions-nous envoyer l’Armée ? Il y a forcément un moyen pour que tout le monde ait à manger et que les écoles ouvrent à nouveau. Le monde Occidental, le monde Arabe et Musulman, sont assez puissants et riches pour faire en sorte que ce pays revienne à la vie. Il est pourtant laissé à l’abandon.

Faut-il vraiment trouver une raison à la folie ?
Non. Mais de cet abandon est née la folie. Ainsi que ce désir de vengeance, de mort et de cruauté. On ne peut pas laisser des millions d’êtres humains mourir et nous être là, repus, gavés, et se dire « oh ! On a une crise économique ! C’est terrible ! » Les Somaliens vivent au-delà d’une crise économique. Ils sont confrontés à la mort, des leurs, leurs enfants et leur pays. Voilà d’où vient ce terrorisme. C’est à la racine qu’il faut prendre le problème ; ce n’est pas qu’à la racine du mal mais aussi à la racine de la douleur ! Je n’excuse rien encore une fois. Il faut condamner le terrorisme. C’est innommable ! Pour revenir à l’attaque du Westgate, elle a été commise avec une telle violence, un tragique aveuglement. Les partisans, religieux de surcroit, ignobles, faisaient sortir les Musulmans et tuaient des enfants parce qu’ils étaient Chrétiens. Ma logique est qu’il n’est pas possible d’être conscient pour agir ainsi. Et pourtant !

Les terroristes ont cependant gagné la guerre de communication que se sont livrés durant quatre jours les forces kényanes et les shebabs, notamment via le réseau social Twitter. Les réseaux sociaux sont un moyen puissant de fonder des groupes, de faire de la propagande. Pensez-vous que c’est une arme qui n’est pas assez prise en compte par les dirigeants des Nations ?
Oui sans doute. Je rêve d’un monde ou les actes terroristes ne seraient plus couverts par la presse. J’aimerais qu’il y ait un accord intergouvernemental, à travers tous les pays. Ainsi, dès qu’il y a acte terroriste, on ne communique pas dessus. Il faudrait que les réseaux sociaux soient sous surveillance et dès qu’il y a tentative de communiquer sur un acte terroriste, on coupe la communication justement. On sait cela possible. Le terrorisme en quelque sorte c’est ça, créer l’événement, qu’il soit le plus médiatisé possible pour que la pseudo cause revendiquée soit véhiculée le plus largement et le plus rapidement ; donc par les médias et réseaux. Il ne faut pas.

Quel autre regard portez-vous sur le Kenya ?
J’aime le Kenya. J’aime les Kenyans. J’aime l’énergie de ce pays. Ça fait plus de dix ans que je m’y rends. J’ai beaucoup d’amis là-bas. Et puis il y a différentes Ethnies. Elles sont méfiantes face aux « Kenyans hauts » et les Occidentaux.

Pourquoi ?
Je l’explique par la pauvreté, la peur de manquer, la jalousie. « Pourquoi lui et pas moi ? » C’est un sentiment basique mais humain. La raison de cette méfiance est l’inégalité, tout simplement. L’argent n’est pas distribué à ceux qui en ont besoin. La répartition ne se fait pas justement. Donc cela crée des tensions, à l’intérieur des communautés. Ses tensions se retournent alors contre les étrangers parce que l’étranger représente l’ennemi en général.

Il y a des étrangers parce que le Kenya est touristique !
Ce pays vit principalement du tourisme. Oui. Par les Safaris et le peuple Maasaï qui attirent etc. Mais derrière ces airs de vacances, il y a l’autre vie, la vraie vie, celle du peuple, dans les terres et sur la côte Monbasa, Lamu… Des villes qui sont à religion musulmane et vous accueillent fabuleusement. Le plaisir de recevoir est cultivé au Kenya. Ce pays est tellement beau et pourrait crouler davantage sous le tourisme, un nouveau tourisme, plus curieux.

Et quel regard portez-vous sur l’Afrique plus globalement ?
Je me sens Africain. Mes parents sont d’Algérie. C’est le lieu d’où je viens. C’est mon continent. L’Afrique est un lieu de force. C’est la terre nourricière. Il y a là une puissance extraordinaire. Mais l’Afrique meurt parfois de son manque d’éducation, de culture et de ce besoin constant de se tourner vers les autres pour demander. Alors que l’Afrique doit se créer elle-même. On ne peut pas constamment se tourner vers les autres pour obtenir ce dont on a besoin. Il y a donc beaucoup de richesses en Afrique : du pétrole, de l’or, du gaz, du minerais. Malheureusement son fléau premier, la corruption, gangrène tout. Seulement une frange de la population absolument minime en profite, se protégeant dans des voitures blindées et par des gardes du corps. La solution serait une répartition plus lisse et plus étendue des capitaux.

L’Afrique est la matrice du Monde.
Exactement. C’est formidable de savoir d’où l’on vient, de connaître ses racines, sa tribu. Je fais partie d’une tribu aussi. Mais voilà, nous devons vivre tout de même dans le partage. L’enjeu est commun pour faire sortir les générations à venir de cette espèce de frange. Il faut réussir à fonctionner ensemble. Ce n’est pas évident, l’Histoire l’a prouvé. L’Afrique est le continent de l’excès. En France on fait mai 68 il y a un mort par hasard et c’est un problème cardiaque ; si en Afrique ça c’était produit, il y aurait eu des milliers de morts !

Comment est née cette envie d’y résider en alternance avec la France ?
Le hasard. Le temps qui passe. Je cherchais autre chose. Là-bas j’ai ce sentiment d’appartenance. Quand je suis chez moi, je suis chez moi : chez moi en Israël, chez moi en France, Chez moi en Afrique.

Que pensez-vous du climat relationnel France/Afrique justement ?
C’est compliqué. C’est une relation d’anciens colonisés à d’anciens colonisateurs. Même si ce temps est dépassé, il y a des maladresses dans les deux sens. Et puis il y a le problème de l’immigration en France. Vraiment c’est un problème car la France n’a pas vertu à accueillir toute l’Afrique. On ne peut pas. Il y a des différences de culture, de religion, de modes de vie, d’éducation. Toutes les raisons sont évidentes. Les relations s’améliorent cependant. Elles sont plus fortes, davantage chaleureuses. La France est intervenue au Mali, au Kenya justement etc. La France participe aux actions. Les relations sont fraternelles entre ce continent et l’Europe.

L’Afrique est donc soutenue.
Oui. Et je reste fasciné par les ONG. Par ces jeunes personnes qui partent dans des conditions parfois difficiles et dangereuses pour aider des gens qu’ils ne connaissent pas, simplement dans un désir altruiste. Ça prouve quand même qu’il y a des liens entre ces continents.

Etes-vous toujours soutenu pour votre film L’Origine de la Violence ?
Je devais tourner en juillet. Mais en juin, le distributeur et coproducteur SND, une filiale de M6, s’est retiré du film pour des raisons que je n’ai pas bien comprises. Je cherche un nouveau distributeur, un accompagnement de financement. Suite à l’appel à participation diffusé sur le net fin 2012, nous avons recueilli plus de 100 000 euros mais l’argent du fait du retrait de SND a été rendu bien sûr.

Quel est le résumé ?
Un professeur de français accompagnant sa classe à un voyage en Allemagne, à Buchenwald , va voir la photographie d’un détenu ressemblant fortement à son père. Il commencera alors une enquête et découvrira l’origine de sa violence. Ce film est l’adaptation du livre de Fabrice Humbert, paru en 2009 aux Editions du Passage. Il a obtenu en 2009 le Prix Orange du Livre, en 2010 le Prix Renaudot du livre de poche et le Prix littéraire des Grandes Ecoles. Le film est co-écrit avec lui. Les comédiens sont Nicolas Duvauchelle, André Dussolier, Virginie Ledoyen, entre autres acteurs formidables.

Comment expliquez-vous les problèmes rencontrés ?
En France aussi il y a un problème ethnique. C’est non-dit mais très puissant. Mon film parle des Juifs, de la Shoah, des racines. J’ai un coproducteur allemand, la région Weimar en soutien également. Les allemands sont à 50/50 avec moi et ont apporté beaucoup d’argent. Mais Arte a refusé le film. Lorsque je vois les films autour de moi, je suis assez fasciné par leur inintérêt. Cela représente la société française. Le jour où France TV a donné sa réponse négative également, je savais que mon film était en danger. Je me suis alors rendu au Ministère de la Culture qui a décliné ma sollicitation d’aide. Cela fait deux années que je me bagarre pour pouvoir le tourner.

Et ce non-dit ?
La montée du FN, de même que dans des lieux de la République, est inquiétante…
Je conclue qu’il faut toujours entretenir les mémoires et l’Histoire. Comme il faut expliquer pourquoi le terrorisme et cette attaque au centre commercial de Nairobi au Kenya le mois dernier.

L’INVITÉ - Elie-CHOURAQUI

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