Président d’honneur de la SACEM (Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de musique) et du SNAC (Syndicat National des Auteurs et Compositeurs), Officier de la Légion d’Honneur en 2011, Claude Lemesle est parolier. Auteur prolixe de 1400 chansons enregistrées et sorties, il dirige un atelier d’écriture d’où ont émergé de talentueux auteurs-compositeurs tels que Marie-Florence Gros, Pedro Alves et beaucoup d’autres. Joe Dassin, Serge Reggiani, Nicole Rieu, Frida Boccara, Isabelle Aubret, Mireille Mathieu, Gérard Lenorman, Gilbert Bécaud, Michel Fugain, Nicole Croisille, Johnny Hallyday, Julio Iglesias, Michel Sardou, Gilbert Montagné, Carlos, Nana Mouskouri, Dalida, Melina Mercouri, Maxime Le Forestier… L’été Indien, Ca va pas changer le monde, Et si tu n’existais pas, A toi, Une fille aux yeux clairs, Rosalie, La barbier de Belleville, Je chante avec toi liberté… Tellement de façons de le présenter, même sans parler de lui… Mais pour Le Salon Littéraire, c’est Monsieur Claude Lemesle la vedette !
Propos recueillis par Laure Rebois
Si vous aviez chanté les succès que vous avez écrits, personne ne serait à votre rang. Et pourtant… Votre nom ne résonne pas à l’oreille de tous contrairement à vos chansons. Vous êtes le parolier le plus discret médiatiquement.
Julien Lepers a voulu poser une question sur moi à Question pour un Champion, et personne n’a trouvé. CQFD… Ça ne me dérange pas. Je suis timide. Mes chansons parlent pour moi. Je fais souvent des interviews, je ne refuse pas de m’exprimer et un ami réalisateur vient de me consacrer un 52 minutes.
Je suis libre. Peut-être aussi n’ai-je pas le goût de la « publicité ». J’ai la chance de pouvoir prendre le métro tranquillement. D’ailleurs il y a quelque semaines, à Chatelet, à l’embranchement Défense/Château de Vincennes, il y avait un guitariste qui chantait Salut les amoureux ; je lui ai donné quelques euros en lui disant : « de la part de l’auteur ». Il n’a pas compris, pas réagi. C’était amusant et émouvant.
Le succès est agréable, le vedettariat ne l’est pas tellement. Aucun intérêt pour moi d’être épié toute la journée, que l’on surveille mon comportement et ma vie privée… Au-delà d’être jugé, c’est d’être observé qui me gênerait. Je pense que le pire est pour les humoristes car le public a une grande familiarité avec eux. J’ai beaucoup aimé travailler avec Carlos et j’ai assisté à des scènes grotesques et vulgaires ; des gens se permettaient de lui taper sur l’épaule en s’esclaffant. Pas marrant !
Mes passages télévisés ne sont pas assez fréquents pour que l’on puisse m’identifier. La reconnaissance de ma famille me suffit. Le principal est que le plus grand nombre connaisse mes chansons. Le reste m’est indifférent.
Pourtant vous vous étiez essayé à la chanson, en qualité d’interprète. C’était le « risque » !
Tout le monde commence ainsi. Au début, il n’y avait personne pour interpréter mes chansons. Pour les faire connaître je devais commencer par les chanter. Et j’ai donc fait le Petit Conservatoire de Mireille. Dès que j’ai rencontré Joe Dassin j’ai été heureux de raccrocher la guitare. Même si j’ai fait trois 45 tours chez Polydor car le DA s’était entiché de mes chansons, de moi aussi pour l’anecdote mais j’ai mis du temps à le comprendre et j’en étais désolé pour lui… et ce, après m’avoir fait travailler pour Melina Mercouri. J’ai fait un album ensuite à la demande du DA de Joe et Carlos, Jacques Plait. Et enfin, un dernier 45 tours. Mais ce n’était pas mon truc. J’ai arrêté.
Vous devez avoir plus de disques d’Or que de livres dans votre bibliothèque ! ? sourire
Non. J’ai beaucoup plus de livres. Et les maisons de disques sont assez parcimonieuses en ce qui concerne les auteurs. Je n’en ai que deux de Joe Dassin et un de Maxime Le Forestier, celui de l’an dernier. J’ai assisté à plein de remises de récompenses à mes interprètes ; si je devais toutes les avoir, il y en aurait plus d’une centaine, même davantage.
J’ai deux bibliothèques, des livres dans la cave et j’en ai donné beaucoup !
Décrivez-nous vos bibliothèques justement !
Elles sont en deux parties : Histoire et littérature.
Pour l’Histoire, j’ai toutes les époques, essentiellement sur l’Europe. Mais il y a aussi des ouvrages sur l’Egypte ancienne, la Grèce… des civilisations Africaines et Amérindiennes.
En ce qui concerne la littérature, il y a du Théâtre, de la Poésie et des romans bien sûr. Peu d’essais, je ne suis pas friand de philosophie… J’ai pourtant eu une bonne note au bac mais celui qui survolait la classe, c’était le futur réalisateur : André Téchiné ! C’était de loin le plus fort, c’était sa matière favorite.
Théâtre : j’ai les classiques : Corneille, Racine et Molière. J’avais déjà lu à 12 ans les œuvres complètes de ces trois auteurs. Mais j’aime aussi Beaumarchais… et Giraudoux… Là c’est l’ancien Khâgneux qui parle. Surtout que certains de nos professeurs avaient eu des profs qui avait été eux-mêmes ses contemporains. Mais j’aime aussi le Théâtre de Shakespeare, Oscar Wilde, Tchekhov…
Poésie : celle du XIXe siècle essentiellement. C’est selon moi la plus fabuleuse. Depuis Musset qui me touche, ainsi qu’Hugo, Lamartine que Brassens a mis en musique : Pensée des morts. Et l’autre moitié du siècle : Baudelaire toujours, Verlaine, Nerval mort en 1855. Cela dit, celui que je mets au-dessus de tous, c’est Rimbaud. Le poète le plus miraculeux. Mais je n’oublie quand même pas Apollinaire, poète du XXe siècle, mort de la grippe espagnole, comme Rostand et j’adore Prévert, de même que certains poèmes d’Aragon qui se prêtent très bien à la mise en musique comme l’ont fait Ferrat, Ferré, Brassens et d’autres… J’ai relu récemment L’écume des jours de Boris Vian, c’est d’une grande poésie. C’est très personnel.
Romans : Henry Fielding, romancier anglais, connu pour son Histoire de Tom Jones, enfant trouvé (1750). Et j’ai toujours eu une passion pour Zola, le romancier et l’homme car je trouve son attitude extraordinaire lors de l’affaire Dreyfus. L’homme après des dizaines d’années de lutte, de critiques, de haine contre lui, trouve enfin l’amour, une respectabilité, les gens l’apprécient davantage, du moins la critique et ce malgré ses échecs à l’Académie Française, et il remet tout en question pour un homme qu’il ne connaît pas. Il se persuade de son innocence et le paie de sa vie car je suis sûr qu’il a été assassiné. J’aime aussi Vian et j’ai également l’œuvre complète de Hugo, Balzac, Diderot mon préféré du XVIIIe siècle que j’apprécie plus que Voltaire car certaines œuvres ont mal vieilli, je trouve, mais cela concerne moins ses comptes philosophiques. Je n’adhère pas du tout à Rousseau. J’ai lu, J’aime l’écrivain mais pas le penseur. Bien sûr j’en oublie.
Et dernièrement ?
Je relis Anatole France, L’ile des pingouins. C’est très bien. C’est d’un humour, d’une finesse, d’une ironie superbe. Avant, c’était Le dernier jour d’un condamné de Hugo. Là je vais partir quelques jours et je vais emmener avec moi Les origines de la France contemporaine de Taine et Mérimée : Colomba et Carmen.
Je lis tout le temps, le plus possible, même pendant mes phases d’écriture.
Quel ouvrage dans le domaine de l’Histoire recommanderiez-vous à nos lecteurs ?
L’histoire c’est les hommes. Je suis un humaniste. On ne peut pas vraiment comprendre aujourd’hui sans connaître hier. C’est impossible. Voir évoluer l’humanité avec son histoire c’est merveilleux et on se rend ainsi compte que les circonstances changent, mais pas la nature humaine.
En recommander un seul est impossible. On a abandonné l’Histoire chronologique à l’école ce qui est préjudiciable. Il faut avoir des repères. Il y a des gens aujourd’hui qui ne savent pas que Louis XIV c’est le XVIIe siècle !
Alors pour cela, je recommande Alain Decaux et André Castelot. Dans chaque spécialité il y a des « cadors ». Evelyne Lever est une grande spécialiste du XVIIIe, etc. J’avais un ami historien, Georges Bordonove qui n’était pas forcément apprécié de ses collègues mais je trouve Ces rois qui ont fait la France, vraiment très bien. Il y a une recrudescence du goût des gens pour l’Histoire. Ma période de prédilection est le XIXe, avec cette phase charnière qui est l’entrée dans le monde moderne, avec les grandes évolutions : l’électricité, l’aviation, la photographie, le cinéma, l’automobile, tout ; avec de grands personnages dont celui le plus mésestimé qui est Napoléon III. On le réhabilite doucement. C’était un grand chef d’Etat même s’il s’est beaucoup trompé en politique extérieure, c’est vrai, durant la seconde partie de son règne mais il a beaucoup fait avancer la France dans l’ère moderne industrielle, sociale…
Vous avez fait des études littéraires, racontez-nous votre parcours.
Hypokhâgne et Khâgne, puis j’ai passé le concours de l’école normale supérieure. Mais j’étais déjà au Petit conservatoire, donc j’y suis allé en touriste, disons… Ensuite j’ai fait une année de littérature à la Sorbonne, je m’ennuyais alors l’année suivante j’ai suivi des cours d’Histoire. C’était en 66-67, le moment où j’ai rencontré Joe et il a souhaité que je travaille pour lui.
A Henri IV il y avait des fans de chansons. J’ai apporté ma guitare. Je jouais le soir, car j’étais interne. Des copains m’ont dit un jour qu’il y avait un concours de chansons à la télévision le dimanche, la vedette était Brel. C’était l’émission Le jeu de la chance, dont sont sortis Mireille Mathieu, Thierry Le Luron etc. J’y suis allé, ils me poussaient dans cette voie. On était 200 dans les studios Barclay. Les DA me donnèrent quelques espoirs ; il fallait chanter des chansons de Brel et j’étais moins à l’aise qu’avec les miennes. Je n’étais pas un interprète extraordinaire. Le samedi midi j’ai annoncé à Henri IV que je n’avais pas été pris. Et, un ami, m’emmena prendre un café au métro Cardinal Lemoine. Il prit le bottin dans le métro, et appela – fallait des jetons à l’époque. Et je l’entendis : « Allo Cognacq-Jay, passez moi Guy Lux, c’est personnel. Oui, bonjour, c’est Claude Lemesle. J’ai été victime d’un scandale lors de votre dernière audition. On me dit que je suis pris, puis non. On sait ce que c’est la télévision, c’est magouille et compagnie ! Vous allez entendre parler de moi ! », etc. Le pauvre Guy Lux ne comprenait rien : « Je répète avec Brel, venez demain au studio on s’expliquera. »
Le lendemain j’étais au studio des Buttes Chaumont à 10 heures. J’étais très gêné. Six avait été pris, pas moi mais j’attendais avec eux. Soudain Guy Lux arriva, directement vers moi. « Vous m’avez appelé hier je n’ai rien compris. » J’ai balbutié et fait croire qu’on m’avait dit que j’allais être pris. Il m’autorisa alors à rester avec les autres. J’ai accompagné à la guitare une des concurrentes. J’ai rencontré deux filles qui m’ont dit être chez Mireille : « Tu devrais venir avec nous ! » C’était en1964.
J’ai rencontré Brel. J’ai auditionné chez Mireille et voilà !
J’ai fait l’émission. Je ai retrouvé Brel des dizaines d’années plus tard à Tahiti. Nous avons dîné quelquefois ensemble mais je ne lui ai jamais raconté l’histoire. Merci à cet ami de Khâgne que je vois toujours aujourd’hui. Le mari de Mireille me disait le hasard n’existe pas. Mon ami descend à Cardinal Lemoine les mêmes initiales que moi… C’est une belle histoire.
Mireille m’a vite demandé d’écrire pour les autres. Je passais à l’Ecluse, Au cheval d’or et au centre américain d’étudiants des artistes tous les mardis, où un soir, j’ai rencontré Joe Dassin. Et on ne s’est plus quittés, pendant 14 ans.
Suite à un coup de foudre musical, vous avez fait le choix de devenir parolier. C’était donc Brel.
Oui Brel. Ne me quitte pas.
J’écrivais des poèmes dès 8 ans. J’ai toujours écrit. A 16 ans j’ai entendu Brel. Mes parents m’ont emmené le voir à l’Olympia, pour son premier en tant que vedette. J’ai été ébloui par sa performance scénique, réellement extraordinaire. A 16 ans on se passionne. Je n’ai eu de cesse d’essayer de mettre mes poèmes en musique. Je faisais du piano depuis mes 8 ans également. J’habitais dans le Val de Marne, et dans ma rue habitait Francis Lemarque, auteur-compositeur d’entre autres : A Paris. Je lui ai écrit une lettre assez maladroite mais sincère. « Cher Monsieur… vous devez recevoir des lettres disant que vous êtes « mon chanteur préféré », mais ce n’est pas mon cas. J’écris et j’aimerais savoir ce que vous en pensez. » Et j’ai glissé 2 poèmes dans le courrier. Il m’a répondu une petite lettre à la machine, que j’ai toujours. Il m’a demandé de l’appeler car il avait aimé. J’ai hésité à l’appeler puis il m’a donné rendez-vous le lendemain pour le café. « Montrez-moi vos musiques au piano ». Il m’a dit : « Si vous voulez devenir un poète de la chanson, il faut apprendre la guitare. » Quand je suis sorti il y avait son épouse, que je vois toujours régulièrement, et elle me dit :
— Jeune homme, Monsieur Lemarque a-t-il été gentil avec vous ? Etes-vous content ?
— Oui Madame, merci.
— Qu’est-ce que ça aurait été s’il avait été votre chanteur préféré ! ? On en rit toujours. Ça fait plus de 50 ans.
Je suis revenu en disant qu’il me fallait une guitare. Mon père était le photographe du quartier. Et son employé était là, Georges M. Il a entendu et m’a donné sa guitare. J’ai appris avec une méthode. En 2/3 mois j’étais capable de maitriser les accords et présenter mes chansons.
Vous-êtes vous déjà inspiré d’un livre pour écrire un texte, un refrain ? Si oui lequel et pour quelle chanson ?
Oui sans exemple précis mais certainement. Ou d’un film. Tout est matière à inspiration, tout peut la déclencher. Les gens qui me disent « Je ne sais pas comment trouver des idées… » m’étonnent. Il y en a partout ! Il suffit d’écouter, d’observer. Un de mes textes préférés écrit pour Reggiani, étudié dans certaines écoles, est inspiré par Les enfants du paradis, c’est Boulevard du crime.
Maintenant, il faut faire attention à ne pas trop barder ses textes de références. On me l’a reproché à un moment, deux tiers de personnes, et elles n’avaient pas tort. Mais c’est vrai que lorsque l’on a de la culture, on a tendance à s’en servir.
Et combien de titres ont été enregistrés et sortis ?
1400 enregistrés et sortis, 1400 depuis un mois. J’ai des maquettes inédites de Mort Shuman, Bécaud etc… J’ai écrit plus de 3000 textes je pense, même plus.
Tous n’ont pas été proposés. J’écris forcément pour un interprète car je suis timide, donc j’écris seulement pour ceux qui me le demandent.
Charles Aznavour me disait qu’il ne s’est jamais considéré être un parolier mais plutôt « un écrivain de la chanson », et vous ?
Distinguo sans intérêt avec tout le respect que j’ai pour lui.
Dans le dictionnaire, à parolier vous trouvez : auteur de textes de chansons. Parolier n’est pas péjoratif. Je suis consciencieux. J’essaye de faire de mon mieux. L’étiquette sous laquelle on me classe, je m’en fous.
Communiquer de façon concise c’est compliqué. Orsenna m’a dit un jour : « J’admire ce que vous faites car vous avez au maximum quatre minutes pour vous exprimer sans filet. Moi si je rate une page, j’en ai 300 autres pour me rattraper. » La brièveté, la concision du genre en font la difficulté.
Vous avez écrit plusieurs livres, dont une des bibles des « apprentis auteurs » L’art d’écrire une chanson, paru aux Editions Eyrolles en 2010, préfacé par Allain Leprest. La transmission est-elle selon vous plus évidente pour les auteurs de chansons ou de livres ?
Je ne sais pas.
C’est vers quarante ans que j’ai commencé à penser à la transmission. J’étais fan de football et ami avec Henri Michel le sélectionneur de l’équipe de France. J’étais chez lui en week-end, en 87 et il me dit que Platini vient de l’appeler et lui dire qu’il arrêtait l’équipe de France. Et, quelques jours plus tard Platini l’annonçait officiellement. Je lisais une longue interview de lui dans le journal l’Equipe. La dernière question : « Qu’allez-vous faire maintenant ? »
— Je vais essayer de rembourser à la vie la chance qu’elle m’a donnée !
En 87 j’avais 41 ans et me suis alors dit que je devais faire pareil.
A la suite d’une demande d’Alice Dona, j’ai commencé à diriger dans son école, des ateliers d’auteurs et je me suis impliqué dans les instances de défense de droits d’auteurs, au SNAC et à la SACEM. J’ai été Président des deux mais je n’ai pas voulu accaparer ce genre de poste trop longtemps. Je reste désormais Président d’honneur.
J’ai voulu transmettre à travers ces ateliers où les choses se passent ainsi : un week-end toutes les deux semaines, il y a chez moi entre 16 et 18 personnes en 3 groupes. Chaque atelier dure 3h30. C’est gratuit.
Enseigner c’est un métier. C’est payant. Transmettre c’est un devoir. C’est gratuit.
Vous avez écrit Puisque tu veux tout savoir, dédié à Julien Dassin, paru chez Albin Michel en 2005. Est-il plus aisé de vous pencher sur un texte qui sera chanté ou plusieurs centaines de pages ?
Je ne suis jamais à l’aise, toujours taraudé par le doute. Que je commence une chanson ou un livre c’est pareil. Le livre c’est plus long mais je n’ai écrit des livres que sur la chanson. Je serais incapable d’écrire un roman. Je me connais et j’en ai la certitude. J’ai écrit ce livre sur Joe, L’art d’écrire une chanson, Plume de stars et je termine celui sur Bécaud, à 4 mains cette fois, avec mon ami Jacques Pessis.
Je doute tout le temps. D’ailleurs je recommande Les gens qui doutent d’Anne Sylvestre.
Est-ce une commande ?
C’est de mon initiative. Je trouve que l’on ne parle pas assez de Gilbert. Nous avions 18 ans d’écart mais étions très proches. A la fin de sa vie, j’étais plus proche de lui qu’il ne l’était de Delanoë, par exemple. J’étais sans doute celui à qui il s’est le plus livré, cela m’autorise je pense, à écrire sur lui.
J’ai des commandes de chansons toujours bien sûr. Cela dit Mozart et Bach ont fait leurs œuvres sur commande. Il n’y a pas à avoir de mépris envers la commande.
C’est un faux problème. Racine a écrit sur commande : Esther et Athalie, Molière pour Louis XIV… Mireille me disait : « Lemesle ne vous plaignez jamais d’être exploité ! »
Vous est-il arrivé d’être déçu d’une musique restituée sur un de vos textes, tel un écrivain déçu par l’adaptation cinématographique de son roman ou par l’illustration de son ouvrage… ?
Très souvent, c’est mieux que ce je pensais mais ça m’est arrivé d’être déçu par des orchestrations oui. Une chanson peut être très belle au piano ou à la guitare mais parfois l’orchestration ou le mixage gâchent tout.
Des fois j’ai du mal à m’habituer et puis finalement c’est bien.
Vous avez écrit pour une Comédie Musicale, d’après un livret de Boris Vian. Que vous inspire-t-il en tant qu’écrivain et poète ? Qu’en est-il de ce projet ?
J’ai travaillé sur plusieurs comédies musicales mais elles n’ont jamais été montées. Celle-là c’est Nicole Bertolt qui s’en occupe. J’ai écrit les chansons de Mademoiselle bonsoir. Alain Goraguer le compositeur de Boris Vian a mis mes 23 chansons en musique. Nous avons juste à trouver l’interprète et ensuite nous n’aurons plus d’obstacles à ce que cela soit monté.
J’en ai écrit les deux tiers avec Michel Fugain dont une adaptation de Chantecler de Rostand, une avec Mort Shuman sur la ville de Paris : Ma ville, Madame Rosa d’après La vie devant soi avec Gilbert Bécaud, et d’autres.
Poète également, quel est celui qui vous a le plus touché et pourquoi ?
Boris Vian est très original, il m’émeut. Je voudrais pas crever, d’ailleurs récité par Pierre Brasseur, c’est magnifique. Quand j’aurais du vent dans mon crâne (mis en musique par Gainsbourg), aussi. Il a un univers moderne et poétique. C’est un écrivain majeur contemporain. Fascinant. Intelligent.
En ce qui concerne Rimbaud, jamais la poésie n’a atteint ce sommet. Le dormeur du val est un chef d’œuvre absolu. Et même sur une sujet anodin et presque trivial, il fait un chef d’œuvre :Les chercheuses de poux.
Mon arrière-grand-père est mort lorsque j’avais 10 ans mais je m’en souviens. Il m’a raconté avoir fait partie des 2 millions de français à avoir accompagné Hugo au Panthéon. Victor Hugoétait un grand poète populaire. Quand il rentra dans sa 80e année, on a débaptisé l’avenue d’Eylau pour lui donner son nom. Les trois dernières années de sa vie, il recevait des courriers ainsi libellés : « Monsieur Victor Hugo, En son avenue ». C’est la reconnaissance du peuple envers un génie. La légende des siècles, est selon moi le recueil le plus ambitieux, jusqu’au très intime poème dédié à sa fille Léopoldine.
Pedro Alves l’a mis en musique également ! Ce poème s’appelle Demain dès l’aube. (Du moins on le nomme ainsi car il n’a pas de titre.)
Il a bien fait de composer dessus.
Reprenons.
J’ai relu Anatole France : Les dieux ont soif. J’ai relu 93 de Hugo. On va avoir du mal hein ! ! ! C’est énorme ! C’est à la fois un grand prototype avec toujours des situations humainement paradoxales et tellement belles. A la fin du premier chapitre il y a ce fameux noble sur le bateau, et l’homme qui a mal arrimé les canons. Ceux-ci défoncent le navire et tuent. Le responsable de cette négligence réussit à stopper la catastrophe. Le noble qui n’est pas le Commandant mais dirige la révolte en Vendée, demande à ce qu’il soit décoré et après ordonne : « Fusillez-le ! » Comme disait Flaubert : « J’adore cet immense vieux ! »
Quel est le livre de la rentrée littéraire annoncée que vous attendez ?
Aucun… Je devrais mais je lis des amis, c’est tout. Surtout ceux d’Anne Goscinny, avec qui j’ai d’ailleurs été plus qu’ami… Si on m’en offre je vais les lire mais je suis surtout attiré par l’Histoire et les Grands Classiques.
Il faut faire des choix ; j’arrive à 69 ans, il me reste maximum 20 ans à vivre ; on ne peut pas tout lire, tout écouter, tout voir.
Cela dit, préférez-vous lire les mots ou les écouter ?
Les lire ou les écouter. Les écrire c’est difficile. Mon ex-femme m’a dit : « Je ne te regarderai plus jamais écrire t’as trop l’air de souffrir. » C’est un plaisir qu’à la fin, lorsque l’on a la conscience d’avoir bien travaillé. Au point final. Mais sinon j’en bave. C’est quand on écoute l’enregistrement réussi que nous sommes satisfaits, mais pendant non.
Sinon j’adore écouter, regarder un bon film, une émission historique.
Je suis de même très touché par la musique. Même sans paroles cela peut déclencher des larmes. J’écoute plus de classique. Très peu de variétés.
Dire beaucoup de choses dans peu de place en s’interdisant les mots abstraits, telle est la définition de Maxime Le Forestier.
Souchon a du mal, « le meilleur ami de l’auteur c’est la poubelle » dit-il. Brassens m’a dit : « Claude, tu ne peux pas savoir ce que j’en bave ! » Dabadie avant de quitter son bureau de travail se mettait des post-it, « mais tu vas y arriver », « t’inquiète tu n’es pas si nul » etc.
Ça peut arriver une fois, mais Renaud Lavillenie avant de sauter 6m16 a du beaucoup travailler. J’ai des brouillons de Brassens, il y a énormément de travail. Brel idem. J’ai aidé Guy Béart à démêler ses brouillons pour son dernier album ; pour chaque chanson il avait un gros dossier de brouillons. Allain Leprest disait : « La chanson c’est du boulot mais ça ne doit pas se voir ni se sentir. » Céline disait dans une interview qu’il n’avait pas de facilité, « et puis ça me barbe mais c’est mon métier, mais pour sortir 800 pages j’en fait 80000 ». Regardez les brouillons de Balzac et d’Hugo ! Il n’y a guère que Mozart qui ne faisait qu’un jet.
Je viens de passer 9 jours avec Fugain à faire une seule chanson.
Avec Le Forestier, on avait eu l’idée 2 ans avant. J’ai laissé murir car il y a aussi tout le travail avant d’écrire…
Vous vous êtes mis à la place de tant d’artistes. Si on devait se mettre à la votre, on écrirait quelle chanson ? Quel roman ? (Je vous épargne le « on ». sourire)
J’ai écrit Il faut vivre pour Serge Reggiani, c’est peut-être celui qui me ressemble le plus.
Un poème… je ne sais pas c’est difficile comme question et de s’identifier totalement à un poème ou un roman. D’après une de mes ex-élèves j’étais entre Don Juan et Don Quichotte, mais je serais davantage Don Quichotte et surtout à mon âge. J’aime me battre contre les moulins à vent. Je suis plus Philinte qu’Alceste, j’essaye d’arrondir les angles.
J’ai été fasciné quand j’étais en Khâgne par Le neveu de Rameau de Diderot. C’est un personnage dont je me sens proche.
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Merci Laure pour cette belle interview