Il est l’auteur français le plus lu, traduit en 36 langues et a vendu plus de 16 millions d’exemplaires dans le monde. Guillaume Musso s’est intéressé à la littérature très tôt et a commencé d’écrire lorsqu’il était étudiant. Il est titulaire d’une licence de sciences économiques et du Capes de sciences-éco. A la suite d’un accident de voiture, il écrit sa première histoire. Et après… parait en 2004. A l’aube de sa quarantième année, Guillaume Musso livre son dernier roman, le dixième, Demain.
Propos recueillis par Laure Rebois
Je ne vais pas vous questionner sur le fond du livre, ce qui a beaucoup été fait, mais pouvez-vous nous expliquer la raison pour laquelle vos romans ont la même présentation ? Par exemple les citations. Cela vous rassure-t-il ? Même si elles vous servent à donner l’atmosphère du chapitre…
Si vous parlez de l’aspect « formel » ce n’est pas tout à fait exact. Par exemple 7 ans après…,mon avant dernier roman, était un pur thriller que j’avais conçu en ayant l’obsession du rythme : 65 chapitres courts qui ne laissaient pas la place aux citations.
Le dernier, Demain, repose sur un suspense plus psychologique, une traque au cœur de l’intime où les apparences et les faux-semblants jouent un rôle central. Cela implique de s’installer davantage dans la psychologie des personnages. D’où des chapitres beaucoup plus longs qui prennent le temps de scruter les motivations de mes héros, leurs peurs et leurs angoisses.
L’auteure américaine Dorothy Parker disait : « Je déteste écrire mais j’adore avoir écrit ». Il en est de même pour vous, pourquoi ?
Car l’écriture est pour moi une activité très ambivalente. C’est à la fois quelque chose de prodigieusement addictif et exaltant (quelle liberté formidable de pouvoir « créer des mondes » sans autre limite que son imagination !), mais aussi une activité très solitaire et un peu laborieuse qui peut parfois vous isoler des autres.
Cela dit, vous ne pouvez imaginer rester plusieurs mois, ou années sans écrire ? !
Oui, car le plaisir l’emporte malgré tout.
Il y a des signatures. Aux premières notes on sait reconnaître immédiatement Goldman, par exemple. A votre rythme, la musique de vos mots, la cadence, l’atmosphère, les répétitions de thèmes, l’émotion, la mécanique, on reconnaît Musso. Qu’en pensez-vous et cela vous gêne-t-il ?
Non, au contraire, je prends vraiment cela comme un compliment. C’est un chemin difficile dans la création que de parvenir à trouver son « style », sa langue, sa fluidité, son univers.
Votre écriture est addictive. Travaillez-vous d’après un plan détaillé ? Au feeling, jusqu’à voir si les personnages surprennent l’auteur que vous êtes ?
J’essaie de rester fidèle à un principe : toujours écrire le roman que j’aimerais lire et faire en sorte que mes histoires procurent un plaisir de lecture et un véritable moment d’évasion. Pour moi, la première qualité d’un romancier est de savoir captiver son lecteur. Pour ce faire, j’essaie toujours de construire mes romans à deux niveaux de lecture : un premier où on se laisse porter par l’histoire et le suspense et un second où j’essaie d’introduire davantage de réflexion et de traiter certaines thématiques.
Concernant le travail d’écriture, le genre qui est le mien (le roman à suspense) m’impose de mettre en place une ossature solide, une intrigue dense et des personnages nuancés. J’ai donc pour habitude de bâtir un premier plan, d’effectuer un certain nombre de recherches avant de me lancer dans l’écriture. Mais une fois dans le jus de la rédaction, je me laisse guider par le déroulement de l’histoire et je guette avec excitation les tentatives d’autonomisation de mes personnages. L’imprévu devient alors source de nouveaux rebondissements et de nouvelles idées.
Vous avez dit être attiré par l’écriture d’une trilogie. Le premier opus sortira-t-il en 2014 ? Avez-vous déjà le fil conducteur ?
Non, le prochain roman ne sera vraisemblablement pas le premier tome d’une trilogie, mais je garde cette idée en tête et je continue à la développer.
Ce désir vient à la fois de mon admiration devant certains auteurs (Stieg Larson, Henning Mankell, Michael Connelly) qui, grâce à leurs héros récurrents, ont su tisser au fil de leurs romans une sorte de fresque, ainsi que de mon intérêt de plus en plus vif pour certaines séries télévisées de qualité (The Killing, The Wire, Engrenages, Homeland…) qui prennent le temps de développer au fil des épisodes et des saisons des arcs de narration et des évolutions de personnages très riches.
En parlant de mise en scène, ce sont les personnages ou les histoires, principales et secondaires qui s’imposent en premier ?
Cela dépend des livres, mais généralement l’histoire, les personnages ainsi que les lieux apparaissent étroitement imbriqués et la genèse de mes romans est très longue. Avant de les coucher sur papier, j’ai porté la plupart de mes histoires pendant de longues années.
L’écrivain est-il sociologue ? Développez votre point de vue.
Je me considère d’abord comme un raconteur d’histoires, mais il est vrai ces histoires prennent vie dans un décor, dans un lieu et à une époque bien précis. La plupart de mes romans sont ancrés dans le monde contemporain et je me nourris de mon époque et de son actualité, mais cela ne s’apparente en aucun cas à une méthode sociologique.
De mémoire lorsque nous nous étions rencontrés il y a environ 3 ans, vous m’aviez dit vouloir ressortir un roman ? Lequel était-ce et où en êtes-vous de ce projet ?
Il s’agissait de Skidamarink, mon premier roman, sorti en 2001. Le roman est aujourd’hui introuvable ou alors sur des sites d’enchères en ligne à des tarifs prohibitifs.
J’avais envoyé mon manuscrit par la poste l’année précédente et il avait été accepté par les éditions Anne Carrière. Quatre ans avant le succès du Da Vinci Code, l’intrigue racontait l’histoire de quatre personnages recevant chacun un morceau de La Joconde assorti d’un mystérieux rendez-vous dans une chapelle italienne.
À l’époque, la presse avait été assez élogieuse à son sujet et de nombreux lecteurs désirent le lire aujourd’hui. J’ai donc racheté les droits de Skidamarink pour éventuellement le republier un jour, mais aucune date n’est encore fixée.
En consacrant 10 mois à l’écriture d’un roman, combien de temps vous reste-t-il pour la lecture ?
Beaucoup. J’ai toujours deux ou trois romans en cours de lecture, même lorsque je suis en période d’écriture.
Vous avez passé beaucoup de temps à la bibliothèque municipale que dirigeait votre mère. Quel est votre premier souvenir de lecture ?
Les Hauts de Hurlevents d’Emily Brontë.
Quel sont les livres découverts à cette période qui vous ont marqués et pourquoi ?
En vrac, la dimension onirique du Grand Meaulnes, le désenchantement de L’Éducation sentimentale, la galerie de personnages d’Anna Karenine et de Guerre et Paix, la verve de Pagnol.
Sur quel critère choisissez-vous un livre ?
Le bouche à oreille, les conseils de mes amis, de certains libraires, de blogueurs aussi.
Sur votre site vous livrez vos 12 ouvrages cultes. Pouvez-vous nous dire pour chacun ce qu’ils vous ont apporté et la raison pour laquelle vous les conseillez ?
– Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë (1847) : Mon premier coup de cœur littéraire découvert au début de l’adolescence : j’avais été marqué par les personnages tourmentés, la violence des sentiments et l’atmosphère mystérieuse et gothique qui se dégageait du texte.
– Un amour de Swann de Marcel Proust (1913) : J’ai lu les trois premiers tomes de la Recherchelorsque je travaillais aux Etats-Unis en 1993. Après l’effort des premières pages, j’ai été hypnotisé et étourdi par la langue de Proust et par son univers.
– Aurélien de Louis Aragon (1944) : Depuis l’adolescence, je suis passionné par la poésie d’Aragon que mes parents m’ont fait découvrir à travers les 33T de Jean Ferrat et de Léo Ferré. Plus tard, j’ai découvert Le Roman inachevé souvent considéré comme une sorte d’« autobiographie poétique » de l’écrivain. Aurélien, quatrième opus du Monde réel est pour moi son roman le plus réussi. Je suis sensible à son thème (l’impossibilité du couple) ainsi qu’à son époque (les années 1920).
– Le Hussard sur le toit de Jean Giono (1951) : Mes deux romans préférés de Giono sont Un roi sans divertissement et Le Hussard sur le toit. Ce dernier, à la fois roman d’aventure, roman d’amour et roman initiatique, m’a ébloui par son décor et la force de son propos : le refus de la médiocrité, de la peur, l’éloge et la noblesse de certaines valeurs…
– Belle du Seigneur d’Albert Cohen (1968) : Découvert à 17 ans. J’avais eu à étudier l’ouverture du roman à l’épreuve de « commentaire composé » de mon bac de français. Un choc : une langue inventive, de l’humour, une vision tranchée des rapports entre les hommes et les femmes.
– L’Œuvre de Dieu, la part du diable de John Irving (1985) : un roman populaire, puissant, humaniste avec une galerie de personnages inoubliables.
– Le Prince des Marées de Pat Conroy (1986) : Mille pages flamboyantes brossant le portrait d’une famille du sud des États-Unis. La rédemption d’un homme à travers son histoire d’amour avec une psychanalyste. Pas loin d’être pour moi le « roman parfait » : style puissant et poétique, mais accessible à tous, secrets de famille traçant des lignes de faille et façonnant des personnages fragiles et révoltés. Surtout, une histoire formidable sur la capacité de résilience que l’on porte en chacun de nous.
– Misery de Stephen King (1987) : King est l’un de mes maitres. Je le lis depuis mon adolescence. J’admire notamment en lui sa capacité à faire surgir le surnaturel dans un environnement quotidien. Misery me plait particulièrement. D’abord parce qu’il met en scène un écrivain (comme dans Bag of Bones) dans un face à face très particulier avec une de ses lectrices devenue sa geôlière. Ensuite parce qu’il s’agit d’une prouesse d’écriture puisqu’une bonne part du roman se passe dans la tête d’un héros alité.
– Le Maître des illusions de Donna Tartt (1993) : Donna Tartt est une romancière rare qui publie au compte-gouttes. Son premier roman est précieux, car il entretient un suspense psychologique haut de gamme, tout en étant une réflexion sur la culture et la transmission ainsi qu’un texte littéraire exigeant.
– L’Ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon (2001) : Un livre envoûtant sur l’amour des livres et de la lecture. J’ai passé une bonne partie de mon enfance dans les murs de la bibliothèque municipale d’Antibes que dirigeait ma mère. Comme le héros du livre : « J’ai grandi entre les livres en me faisant des amis invisibles dans les pages qui tombaient en poussière et dont je porte encore l’odeur sur mes mains »…
– La Route de Cormac McCarthy (2006) : Dans un genre que d’ordinaire je n’apprécie guère (le roman post apocalyptique), ce texte est un chef d’œuvre qui nous plonge au plus près de la relation d’un père et de son jeune fils, obligés de fuir dans un monde en proie à la barbarie. Un roman initiatique éprouvant et inoubliable qui nous interroge sur la transmission, la culture et la parenté.
– Les Années d’Annie Ernaux (2008) : J’ai découvert Annie Ernaux dans mes cours de sociologie où on mobilisait parfois certains de ses textes en écho aux travaux de Pierre Bourdieu. Les Années est pour moi un texte où l’autobiographie littéraire se mêle à la sociologie et à l’histoire. Je suis aussi très sensible à d’autres de ses textes abordant la passion amoureuse (Passion Simple, Se perdre), la vieillesse (« Je ne suis pas sortie de ma nuit »), la quotidienneté (Journal du dehors)…
Quel est le dernier livre que vous avez aimé et pourquoi ?
Je suis en train de lire le premier tome de la trilogie d’Hilary Mantel, Dans L’Ombre des Tudorsqui vient de paraître chez Sonatine. Une fresque surprenante d’un pan de l’histoire anglaise vue à travers le prisme de Thomas Cromwell.
Les nouvelles technologies cannibalisent notre époque » dites-vous. Vous reflétez alors cela à travers vos romans. Par exemple le dernier avec les échanges mails entre vos protagonistes. Cependant, vous n’êtes pas contre le numérique et vos romans sont disponibles sous ce format. Vous pensez que l’on a encore le temps de sauver les librairies. Quels sont vos arguments face aux réticents des e-books dont je fais partie ?
Je suis un gros lecteur et je lis sur tous les supports. J’achète les romans en grands formats d’auteurs dont j’attends avec impatience les nouveaux opus (Grangé, King, Connely, Thilliez, Chattam, une bonne partie des thrillers publiés par Sonatine…), j’achète aussi beaucoup de formats poche parce que c’est pratique et surtout, c’est dans ce format que l’on trouve désormais l’essentiel du « fond » des librairies. Enfin, j’ai aussi une liseuse que j’utilise en voyage.
Quel est la prochaine adaptation cinématographique prévue ? Il était question de donner vie sur écran à La fille de Papier…
En ce moment, certains producteurs s’intéressent davantage à L’Appel de l’Ange et à 7 ans après… Ils semblent apprécier le côté « hitchcockien » de ces deux histoires : des personnages ordinaires confrontés à une situation qui les dépasse et une tension qui court tout au long de l’histoire.
(mai 2013)
A LIRE aussi ICI
Ma première rencontre avec lui, retrouvez-la en vidéo
http://www.femmeactuelle.fr/culture/actu-livres/interview-guillaume-musso
http://www.femmeactuelle.fr/culture/actu-livres/interview-guillaume-musso-2
Interview très intéressante, merci bonne continuation