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Jérôme Attal : « Les écrivains sont les agents secrets de l’intime ».

Chanteur, blogueur, auteur-compositeur-interprète, écrivain,  auteur de nouvelles pour la Revue Bordel, Jérôme Attal est un modèle de polyvalence en termes d’écriture ! Eddy Mitchell, Florent Pagny, Johnny Hallyday, Mareva Galanter, Michel Delpech, Jenifer, Chimène Badi entre autres, l’ont chanté ! Il a même fait ses débuts en qualité de scénariste et acteur… L’Histoire de France racontée aux extra-terrestres, paru en mars 2012, voyage avec succès.

Propos recueillis par Laure Rebois 

— Parlez-nous de ce roman si original ; comment est-il né ?

L’idée de l’Histoire de France racontée aux extra-terrestres était de réinvestir le champ romanesque de l’histoire de France. Dans un esprit poétique qui mêle des influences aussi diverses que Boris Vian, Jean Cocteau, Jacques Prévert, Richard Brautigan, et les Monthy Python par exemple. C’était aussi l’idée que nos souvenirs intimes font autant partie de l’histoire de France que les grands événements historiques. Mon histoire de France c’est une patrie des visages rencontrés.

Et puis je revisite de manière bien délirante certains hauts faits de l’histoire, comme les révolutionnaires de 1789 qui vont s’approvisionner en substances illicites à Amsterdam, c’est le go fast de la Révolution française, parce qu’elle est allée très vite cette révolution, une poignée d’années, un concentré de belles idées et de faux pas, mais je raconte aussi des batailles épiques de mon enfance avec mes copains de la Garenne-Colombes au début des années 1980, comme si c’étaient des événements dignes de ceux que l’on célèbre les jours fériés.

Quand même, j’ai fait attention que tout soit basé sur des faits réels. Par exemple quand Robespierre parvient à semer les douaniers en traversant la frontière belge, il se demande pourquoi il n’est pas suivi. Or, c’était une obsession de Robespierre, d’être suivi. Il n’a jamais compris pourquoi les gens ne l’ont pas suivi.

— Avec Folie furieuse, vous avez vécu la rentrée littéraire 2011 ; que pensez-vous de celle-ci et de ses auteurs ?

C’est de la Folie furieuse ! C’est toujours un problème de place, de visibilité, avec le nombre de livres qui sortent. Il faut de plus en plus d’endurance, de ruses, de hasard et de vents favorables pour qu’un roman ait une durée de vie qui dépasse le concept de rentrée littéraire ou survive à l’événement de sa sortie. Bref, sortir un livre, c’est souvent l’Odyssée d’Ulysse.

— Trouvez-vous parfois l’inspiration pour des nouvelles, textes ou romans dans les écrits des autres ?

Je dirai que les écrits des autres me stimulent plus qu’ils ne m’inspirent. Ensuite, chaque auteur, je crois, selon ce qu’il vit, ce qu’il lit et ce qu’il découvre, arrive à se créer son propre univers. Pour l’Histoire de France par exemple, Boris Vian, Brautigan et les Monthy Python n’ont pas de lien à priori. Pourtant mon roman convoque leur esprit, les associe dans une formule qui se mêle à des souvenirs personnels ou des événements sentimentaux qui me donnent envie d’écrire. Ce sont des combinaisons subtiles qui font autant de livres possibles et d’auteurs différents. Je cite souvent J.D Salinger et Francis Scott Fitzgerald que j’adore. L’univers créé par Salinger sur le monde adolescent n’existerait pas sans les nouvelles de Fitzgerald sur le même sujet. Il les a juste amenés vers lui, il leur a trouvé une solution en lui et pour lui. De son temps. Et par sa sensibilité propre. Ce qu’il a fait avec Fitzgerald, un écrivain devrait le faire avec tout ce qui lui arrive.

— Lisez-vous beaucoup ? 

Oui. Plus je lis et plus je me dis que je ne sais pas écrire. Mais plus j’écris et plus je me dis que je suis aussi en train de lire.

— Vous avez dit que vos trois livres cultes sont : Nine stories de JD Salinger, La vie matériellede Marguerite Duras et Les entretiens de Francis Bacon avec David Sylvester. Que vous ont-ils apporté ?

Une façon de se tenir, de se situer dans le monde, compatible. Un enchantement. Un encouragement à tenir bon.  Il y a cette phrase de Jean Cocteau que j’aime beaucoup : « On travaille pour des frères mystérieux qu’on possède à travers le monde. Il y a une île qui est brisée, dispersée à travers le monde. Et, en somme, l’art est une espèce de signal, comme un mot d’ordre pour retrouver des compatriotes. »

— La peinture tient-elle une aussi vaste place dans votre vie que la littérature ? C’est un autre moyen d’expression ou d’interprétation comme l’écriture et la lecture…

J’aime beaucoup les écrits et entretiens de peintres. Bacon, Balthus… J’y trouve des correspondances avec ce que je vis. Les écrivains que j’aime n’en finissent pas de faire des variations sur un ou deux thèmes qui leur sont chers. Comme la plupart des grands peintres. C’est là que se forgent un style, une griffe, un univers qui nous mette à l’abri de la jungle de l’instant. J’aime cet aspect de la création, et cela vaut pour la peinture comme pour la littérature, qui nous fait retenir un événement ou un visage parmi une foule de choses et d’émotions. Il y a une décision, une volonté, un désir de retenir qui est à l’origine même de la création. Et de retenir même une pognée de secondes supplémentaires, pour toujours.

— Le Rouge et le Bleu qui fut votre second livre (2008) est également un hommage à Stendhal – le Rouge et le Noir ayant été de même son deuxième ouvrage. Le titre faisait aussi référence à deux compilations des Beatles. Stendhal a-t-il été important pour votre évolution littéraire ? Et ce roman en particulier ?

Mon roman préféré de Stendhal est La Chartreuse de Parme. Mais pour revenir au cas de mon deuxième livre, les éditions Le mot et le reste m’avaient proposé d’écrire un petit récit intime sur un groupe de musique qui avait compté pour moi. J’ai choisi Les Beatles et me suis focalisé sur les compilations sorties au début des années 1970, des disques appelés couramment : Le rouge et Le bleu. Comme le deuxième livre de Stendhal est Le Rouge et le Noir, j’ai trouvé ça marrant que mon deuxième livre s’intitule : Le Rouge et le Bleu.

— Il y a toujours des liens entre vos textes, vos romans et votre site. Par exemple, dans une de vos chansons Lysa : Lysa est aussi un personnage de L’Amoureux en lambeaux (publié en 2007) et on la retrouve dans votre Journal. Pourquoi cette connexion ?

Oui il y a des rencontres, des visages, qui vous donnent envie d’écrire. C’est ce que dit Deleuze, l’acte d’écriture ou de création vient souvent du décalage qu’il y a entre ce que l’on ressent, ce que l’on porte en soi, et ce que la réalité nous donne ou nous renvoie. Mais on ne peut jamais donner une image totale des gens qui nous émeuvent, ce n’est qu’une image partielle, une construction de nos désirs à un moment donné, que l’on complète avec son imaginaire. J’aime beaucoup recomposer la réalité, lui donner une force meilleure, plus à mon goût. Mais je pense que c’est le cas de toutes les personnes qui créent, et principalement d’ailleurs les cinéastes. Il y a ce mot de François Truffaut qui dit qu’on ne connaît vraiment les acteurs qu’une fois devant sa table de montage, après le tournage, en solitude. C’est la même chose avec les gens, je crois, ce n’est pas forcément une vision pessimiste, mais on se rend compte des gens quand on pense à eux. Et, pour les écrivains, penser c’est écrire.

— Vous tenez un journal intime et littéraire en ligne depuis 1998. Qu’est-ce que cela vous apporte ? Pourquoi vouloir une œuvre aussi complète ? Avez-vous peur que l’on oublie votre nom ?

Oui j’aime l’idée d’une œuvre complète, mais, dit comme ça, j’ai l’impression que je vais passer à table et manger une crêpe. D’ailleurs la dernière fois que j’ai commandé une crêpe complète dans une crêperie c’était en compagnie de trois écrivains : Sylvie Bourgeois, David Foenkinos, et Serge Joncour. Serge était malade à l’idée de manger la crêpe, et nous, nous avons été malades après l’avoir mangé. C’est de la littérature, quoi. Marguerite Duras aurait fait de cette anecdote un bon chapitre bonus à La Vie matérielle.

— Le contenu de votre blog sera-t-il retranscrit en livre ?

Pour le moment ce n’est pas prévu. On ne me l’a pas proposé et, de mon côté, j’ai toujours de nouveaux romans en tête qui deviennent ma priorité, alors je me concentre sur les textes à venir. Mais si on me propose quelque chose de cohérent autour de ce Journal, impressionnant en termes de volume, s’il y a un réel désir d’un éditeur, je dirais oui.

— L’écriture est une nécessité. Écrivez-vous toujours dans cette urgence ? Est-ce par période ou au quotidien ?

Oui, je suis par-dessus tout quelqu’un qui écrit. Dans les films, je suis fasciné par les personnages d’écrivains, ou les types qui n’arrivent pas à finir ou commencer leurs livres. Comme dans les films de Joachim Trier par exemple. Dans ces films-là, les filles qui ont le rôle principal tombent toujours amoureuses des types qui écrivent. C’est un genre, que voulez-vous. J’aime aussi le côté mystérieux des écrivains, et mine de rien, d’une recherche de quelque chose de sacré, mais de sacré pour soi, sans prosélytisme à la con, et comme si la vie en dépendait. Ce sont des agents secrets de l’intime. J’aimerais bien tourner dans un film où je jouerais un écrivain. Histoire de placer ma réalité au cœur d’une fiction.

— Avez-vous une méthode, de même lors de la lecture ? Prenez-vous des notes ?

Je marche beaucoup dans Paris pour délier l’écriture, faire venir des phrases, des idées, et je prends des notes sur de petits carnets Moleskine, souples et faciles à glisser dans la poche. En revanche, j’ai besoin d’être chez moi pour écrire. D’avoir un lieu refuge. Voilà pourquoi tout mon argent passe dans mon loyer et qu’il va falloir que je prenne une master class avec un écrivain de best-seller si je veux m’en sortir. Mais, n’en ayant pas les moyens, par chance peut-être, je continue à écrire à ma sauce.

— Pourriez-vous vous passer de lire ou d’écrire ?

J’ai passé les dix-huit premières années de ma vie sans ressentir le besoin de lire ou d’écrire. C’était très bien. Mais à partir du moment où il a été question de vivre seul, de m’émanciper, d’appartenir au monde, je n’ai plus pu me passer de l’un ou de l’autre.

— Pourquoi Henri le diariste, ce blog créé en 2001 sous une identité imaginaire et dont vous avez révélé la duperie à l’apogée de son succès ?

J’ai une méfiance et une répulsion pour le sérieux, l’institutionnel, le manque de distance, ce qui se regarde écrire. C’est mon côté Dean Martin. Henri le diariste est apparu à l’époque où les blogs commençaient à naître, à prendre le pas sur les Journaux intimes. Il y avait des tas de diaristes qui n’écrivaient rien, mais qui se la racontaient beaucoup. Henri est arrivé pour chatouiller le système. Faire son show.

— Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl a marqué votre enfance, pour quelles raisons ? Quel autre livre conseilleriez-vous aux enfants ?

J’étais un petit garçon sage et gourmand, j’adore le chocolat, alors l’histoire de Charlie et la Chocolaterie, bien sûr, je trouvais ça merveilleux. On m’avait offert la version folio junior avec la couverture d’Henri Galeron. J’ai aussi été très impressionné par le beau conte triste de Jacques Prévert : L’0péra de la lune. Aujourd’hui, je conseillerai tous les projets auxquels collabore l’illustratrice Charlotte Gastaut. Notamment son Peau d’âne, magnifique ! Et aussi Le Saule pleureur de bonne humeur, de David Foenkinos, irrésistible !

— Des projets ?

Je sors mon nouveau roman très prochainement, dans quelques mois, pour la rentrée littéraire de janvier 2013, chez Stéphane Million éditeur. Alors que l’Histoire de France nous emmenait chez les extra-terrestres, ce roman sera plus proche de mon Journal intime, car il raconte ma vie parisienne sur une période de quinze jours. À la même époque, Pagaille monstre, l’une de mes histoires d’amour dont vous êtes le héros, que j’ai un peu revisité pour l’occasion, sortira en poche chez Pocket.

Jérôme Attal, L’Histoire de France racontée aux extra-terrestres, Stéphane Million, mars 2012, 200 p., 18 €

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